Sinking (3)
Catch me if I fall
I'm losing hold
Can't just carry on this way
(The Cure)
Quelle issue à la chute ? Est-ce vraiment ce qu'elle souhaite ? De nouveau le paradoxe de l'hospitalisation ; lâcher prise et ne plus rien gérer. Mais aussi l'isolement et la reprise de poids forcée. Le corps épuisé, qui ne veut toujours pas plier. Un jeu de cache cache avec les médecins et qui n'en n'est pas un, la maigreur comme un défi qu'elle leur lance à la tête. Qu'elle doit à tout prix leur dissimuler sous peine de finir en psychiatrie. Derrière la vitrine des apparences, un gouffre vertigineux dont elle n'arrive pas (ne souhaite pas ?) à remonter.
Il y a ce passé qui remonte jour après jour à la surface. Il y a cette peur grandissante de sombrer de nouveau si elle y fait face. De devoir vivre avec jusqu'au bout si elle ne le fait pas. Il y a cette incapacité à être, à grandir, à avancer. Cette addiction à la balance et aux lames de rasoir. Ce refus de baisser les bras. Cette peur permanente de vivre et qui ne la quitte plus. Elle ne sait plus par où commencer.
La sensation de culpabilité à chaque bouchée ou presque. Le dégoût de la nourriture. Et la peur à chaque pas : peur de la rechute ultime, peur de risquer l'obésité à chaque repas, peur de la tentation de redescendre en dessous du minimum vital. Le seuil du poids à atteindre qui ne cesse de baisser, quelles que soient les conséquences. Parce qu'elle refuse encore de croire que le passé ait tant d'influence des décennies après. Parce qu'elle ne sait toujours pas gérer la violence autrement qu'en la retournant contre elle-même. Parce qu'il est déjà trop tard pour reculer et encore trop tôt pour s'arrêter.
Est-ce uniquement parce qu'elle n'a pas su dire non il y a trente ans qu'elle ne pourra plus jamais le dire ? Trois lettres, un mot si simple et si difficile à prononcer pour elle. Fermer sa bouche à la nourriture pour détruire ce corps et lutter jour après jour pour ne pas (trop) retourner cette violence contre elle-même. Le poids qui dégringole et la tentation d'aller encore plus loin dans la rechute. Remplacer une douleur par une autre. Ultime violence qui ne servira qu'à blesser les autres. Ultime violence pour se punir d'être si imparfaite. D'être revenue au même point qu'il y a sept ans. Fermer sa bouche à la nourriture parce qu'elle n'a jamais été capable de l'ouvrir pour dire ce qu'elle pense.